MICHEL

Né à Compiègne le 19 mai 1929, Michel Boudoux , passe toute sa jeunesse à Courbevoie

A l'âge de 11 ans, il fréquente le cordonnier de Courbevoie qui, voyant son intérêt pour ce métier, lui apprend à parer* et à affuter le tranchet… Ce fût son premier professeur…

A 12 ans, en 1942, il rentre à l'Ecole professionnelle de la rue Lambrecht (Courbevoie). Les élèves y doivent effectuer des stages dans quatre disciplines : menuiserie, ferronnerie, ajustage et cordonnerie, à raison de 2 mois ½ par discipline. A l'issue des 4 stages, les formateurs repèrent sa dextérité en cordonnerie. Michel aime le travail du cuir et c'est dans la chaussure qu'il veut se former. Malheureusement l'école est détruite dans un bombardement. Michel est désemparé : quelle école va pouvoir le former ?

En 1943, le cordonnier de Courbevoie l'oriente vers l'Ecole des Métiers de la Chaussure , rue de Turbigo.

Il y passe l'examen d'entrée où il est reçu premier. La formation va durer trois ans. Il obtient son CAP de bottier en 1946 et son BEI (Brevet élémentaire industriel) l'année suivante. Michel a désormais le bagage professionnel pour démarrer dans le métier.

C'est à 16 ans, en 1947, que Michel débute dans l'atelier des frères Branzini qui fournissent les grandes maisons (Hellstern, Bunting, John Lobb). Il y est ouvrier à la pièce entière pour chaussures femmes (montage). Là, il va côtoyer des ouvriers de plusieurs nationalités (hongrois, arménien, italien, grec, yougoslave).

Il poursuit son apprentissage en travaillant pendant deux années dans le 17 ème chez un bottier des Batignolles, puis de la rue Boursault comme « Ouvrier de pied » (montage et réparation). Le travail est fluctuant et précaire. Il renforce les équipes des ateliers quand il y a surcharge de travail, puis il est remercié…

En 1951, Michel a 21 ans. Un ancien copain de l'Ecole des Métiers de la Chaussure lui propose de le remplacer chez le bottier René Mancini, 20, rue Boccador (8 ème ) car il trouve ce métier trop exigeant. Pour Michel, les choses sérieuses vont commencer. Après une période d'essai, René Mancini l'embauche : il a décelé chez ce jeune apprenti une grande habileté manuelle… Il devient ouvrier bottier dans l'atelier situé en dessous de la boutique qu'il partage avec le neveu de René Mancini et un ouvrier italien, Sylvio. Michel se souvient de ce lieu : une cave de 20 m2 sans fenêtre avec un soupirail comme seule source de lumière chauffée par un poêle à charbon et accessible par un escalier de meunier…

René Mancini devient son maître Il va rester à son service pendant 21 ans jusqu'en 1972.

A cette époque, René Mancini se lance. Il tisse des liens avec les maisons de Haute Couture parisienne et leur fabrique les chaussures pour leurs défilés. Il chausse les « mannequins studio » qui travaillent à l'époque à demeure chez les couturiers (Givenchy, Balenciaga, Paco Rabanne, Fath, Molineux, Lanvin, Yves Saint Laurent, Chanel). Il y acquière une renommée et ce qui lui attire une clientèle française et étrangère fortunée. Parmi elles, Jackie Kennedy, Audrey Hepburn, La Callas, Lauren Bacall, la Duchesse de Windsor, Grâce de Monaco ou Claude Pompidou.

Les commandes affluent : Michel travaille jusqu'à 70 heures par semaine. Il seconde le maître en participant aux essayages et au suivi de toutes les étapes, de la conception à la réalisation. Ils ont mis au point ensemble la célèbre sandale Chanel bicolore beige et noire. En plus, Michel forme les jeunes embauchés qui viennent de l'Ecole des métiers de la chaussure. Toutes les chaussures de l'atelier sont entièrement cousues main. Pour les chaussures en tissus et en satin, ils font appel à des brodeurs dont Lesage, Lanel, etc.

L'atelier est complètement autonome : une dizaine d'ouvriers pour la piqure, le patronage, la coupe et le matériel sur place : outils, machine à coudre, banc de finissage, table de coupe. Exigu, l'atelier est agrandi de 20 m2 mais demeure toujours en sous sol. Les formes sont faites par René Mancini à partir de bûches que lui prépare un formier à Belleville et un formier à Clichy.

En 1972 , après 21 ans de bons et loyaux services Michel envisage de se mettre à son compte.

Il apprend que la marque Delicata située au 12 avenue Montaigne cherche un repreneur. Seul candidat à la reprise, Michel va d'abord occuper le poste de contremaître dans cet atelier/boutique avant de devenir le maître des lieux en 1973 . La Baronne Guy de Rothschild et Mme Schlumberger lui font un prêt sans intérêt pour qu'il puisse s'installer. Le prêt sera remboursé en cinq ans.

Max Trombetta, un bottier italien qui travaillait chez René Mancini le rejoint. Michel embauche alors 15 ouvriers (dont de jeunes compagnons) et fait travailler des piqueuses à domicile. La partie commande et gestion de la boutique est assurée par sa femme, Josiane et par sa fille, Béatrice (à partir de 1977). Sa première cliente, Michel s'en souvient comme si c'était hier : la Pincesse Fyrial de Jordanie (sœur du Roi Hussein) qui va passer commande de deux paires de bottes et six paires de chaussures ! E nsuite, c'est l'euphorie.

Il poursuit sa collaboration avec les grands couturiers de l'époque (Grès, Balmain, Courrèges, Paco Rabanne, J.M. Armand …) et les clientes sont de plus en plus nombreuses à défiler au 12 avenue Montaigne. Parmi elles, Dalida, Anne-Sophie Mutter, Michèle Morgan, Grâce de Monaco, Line Renaud, Sophie d'Espagne, la Reine de Thaïlande, Claude Pompidou, Danièle Mitterrand, et combien d'autres…

En 1975 , submergé de commandes, il doit faire appel à un finisseur extérieur. La renommée de Maurice Arnoult, bottier à Belleville lui parvient. Débute alors une collaboration régulière durant quinze ans.

1990 , Michel a 61 ans, il décide de cesser son activité. Il revend la boutique.

1998, sa femme décède. Cette perte l'affecte énormément. Il n'a plus le cœur à l'ouvrage.

C'est alors qu'en 2000, il rencontre, par l'intermédiaire de sa fille qui travaille chez Lobb, un compagnon du devoir, Anthony Delos, spécialisé dans la chaussure homme qui cherche à se former à la chaussure femme. Anthony Delos organise des stages de formation avec des jeunes compagnons à la Maison des Compagnons du Devoir (spécialité cordonnier-bottier) dans le 4 ème à Paris. Pendant cinq ans, Michel va enseigner et transmettre son savoir faire dans sa spécialité de chaussure pour femmes entièrement réalisées à la main. Il est heureux de manier de nouveaux ses outils qu'il avait remisés, il redessine des modèles : le voilà remis dans le bain…

En 2008 , il reçoit une invitation des Ateliers de Paris qui organise une exposition sur le métier de bottier à l'initiative de l'association l'Atelier de Maurice Arnoult pour fêter le centenaire de Maurice Arnoult. Il se réjouit de revoir Maurice. Les vraies retrouvailles auront lieu au domicile de Maurice avec Max Trombetta avec qui Michel a travaillé pendant quarante ans ! Ils évoqueront toutes ces années de fructueuses collaborations et de souvenirs heureux.

Fin 2008 , l'association L'Atelier de Maurice Arnoult   demande à Michel de prendre la relève de Maurice qui depuis 15 ans avait lui même organisé bénévolement un atelier d'enseignement et de formation pour les jeunes candidats et candidates à cet artisanat. Il accepte de reprendre en main cette nouvelle école et, depuis la disparition de Maurice en 2010, il est responsable de cette formation bénévole de haute qualité auprès de 15 élèves , tous les vendredis à l'atelier de l'Association, 8, rue des Gardes (18 ème ) , avec comme objectif de les professionnaliser.

En 2009, un des compagnons qui a reçu son enseignement, Alexis Guyot, se fait embaucher à la  Maison Walter Steiger Bottier 33, avenue Matignon (8 ème ) (atelier d'excellence de la chaussure sur mesure à l'ancienne) et demande à Michel de le suppléer techniquement. Michel prodigue ses conseils, donne son avis sur les bons gestes, résout les problèmes techniques au sein de l'atelier. Il y a d'ailleurs retrouvé une ancienne cliente, la Reine de Norvège…

Aujourd'hui Michel poursuit la transmission de son savoir-faire et milite pour la perpétuation de la chaussure faite main dans les règles de l'art !

* Parer : amincir « à zéro » une peausserie